Daniel COHN-BENDIT
(homme politique)

Dans Sous les crampons... la plage, livre paru le 5 avril dernier aux éditions Robert Laffont, Daniel Cohn-Bendit parle évidemment des Verts.

 "En avril 1975, les Verts de Saint-Etienne sont entrés dans ma vie étant opposés à Munich lors de la compétition qui était l’ancêtre de la Ligue des Champions. Je les avais découverts un peu plus tôt. En fait, c’est ce que j’avais lu sur Dominique Rocheteau qui m’avait surtout interpellé. Tel Günter Netzer, quoique dans un style très différent, il dénotait dans le monde du football. En France, on l’avait surnommé l’Ange vert mais je préférais l’appeler le « footballeur hippie ». Son humilité et sa discrétion le rendaient attachant. Il parlait peu et on voyait bien en épluchant ses rares interviews qu’il répondait aux questions du bout des lèvres. On sentait surtout qu’il avait beaucoup de recul vis-à-vis de ce milieu et l’on comprenait parfois entre les lignes qu’il était sensible à ce que Mai 68 avait un peu changé dans l’air du temps. Enfin, sa passion pour les Eagles, le groupe américain de country rock, me parlait autant qu’à lui malgré nos dix ans d’écart. Oui, tout chez ce joueur me plaisait.     

Mais si j’ai attrapé la fièvre verte, c’est parce que Saint-Etienne me disait aussi autre chose. Cette ville, c’était les mines, l’emblématique entreprise Manufrance, la métallurgie et les usines de mécanique. Bref, le symbole même de la classe ouvrière, avec tout ce que cela représentait pour moi. C’était enfin le « Chaudron », une enceinte bouillonnante toujours pleine à craquer dans laquelle 35 000 à 40 000 supporters chantaient du début à la fin comme on le faisait à l’époque dans les tribunes d’Anfield Road, d’Old Trafford, d’Elland Road ou du Westfalenstadion et de l’Arena AufSchalke au temps où le foot était encore une affaire populaire et où le naming des stades n’existait pas. Bref, l’AS Saint-Etienne, c’était Liverpool, Manchester ou Leeds… sur Loire, le Borussia Dortmund ou le Schalke 04 de France. C’était l’équipe du prolétariat. Deux saisons ont suffi, pour, chez moi, créer LE mythe. Aujourd’hui encore, comme je le fais pour l’Eintracht, je cherche à connaître d’abord le résultat des Verts lors d’une journée de championnat."

Dans Sous les crampons... la plage, livre paru le 5 avril 2018 aux éditions Robert Laffont, Daniel Cohn-Bendit parle évidemment des Verts. Second extrait. 
"En avril 1975, Saint-Etienne affronte le Bayern de Munich en demi-finale de Coupe d’Europe. Je revis. Et retrouve aussitôt les automatismes de la mauvaise foi dont je peux faire preuve quand il s’agit de foot. N’ayant pas eu depuis longtemps la chance d’être pour la France lors d’un match, j’avais emmagasiné tant de réserves qu’il fallait bien que le couvercle de mon chaudron à moi saute. Saint-Etienne a été éliminé et, objectivement, sans la moindre injustice. Mais ça, c’est ce que je dis… aujourd’hui.
Treize mois plus tard, ça a été une autre histoire. Saint-Etienne-Bayern, de nouveau, mais en finale cette fois. Depuis Reims en 1959, aucun club français n’avait atteint ce stade de la compétition. Au-delà de ce que m’inspiraient les Stéphanois, cette rencontre me renvoyait aux amours de mon adolescence. Et… aux défaites rémoises.

Ça n’a donc pas loupé. Et ça m’a encore mis hors de moi. Mais je n’étais pas le seul. Hormis évidemment en République fédérale, tout le monde a considéré que le Bayern ne méritait pas la victoire. Bien que privés de Rocheteau qui n’est entré que pour jouer le dernier quart d’heure, les Verts ont dominé toute la rencontre et vu deux de leurs tirs renvoyés par la barre transversale du but de Sepp Maier, laquelle, si elle avait été ronde, aurait selon les experts ralenti la course du ballon mais ne l’aurait pas empêché d’entrer dans le but.
A dire vrai, je ne suis pas sûr, 42 ans après, que ça ce serait passé de cette façon "si les poteaux n’avaient pas été carrés" pour reprendre l’expression qu’on utilise en France depuis cette finale à Glasgow. Mais à l’époque, j’adhérais complètement à cette explication. Comme la plupart des Européens, à commencer par le quotidien londonien The Sun, pourtant d’ordinaire peu amène à l’endroit de la France, qui avait balancé en une : "Le Bayern vole la Coupe aux Français."
J’ai bien intégré depuis que ce jugement définitif était d’une bêtise crasse et puait les relents d’antigermanisme. Et il m’est de plus en plus insupportable aujourd’hui qu’au matin d’une confrontation entre Anglais et Allemands, par exemple, les tabloïds de Londres ressortent les sempiternels "casques à pointe prussiens". Comme en 2006, lorsque Jens Lehmann, le gardien d’Arsenal, avait qualifié son club pour la finale en arrêtant un penalty contre Villarreal. Le lendemain, The Sun, encore lui, avait titré et sous-titré : "Merci Lehmann : le premier Allemand à nous avoir voulu du bien depuis 1940".
Lorsque "la France de Giscard" m’a autorisé à revenir dans l’Hexagone, fin décembre 1978, j’ai commencé à faire de fréquents allers-retours entre Francfort et Paris. Et à renouer vraiment avec l’actualité du foot français. Le foot, au fond, c’est de la gourmandise. On aime toute sa vie ce dont on s’est régalé enfant."

Dans Sous les crampons... la plage, livre paru le 5 avril 2018 aux éditions Robert Laffont, Daniel Cohn-Bendit avait parlé évidemment des Verts. Sensible à l'Ange Vert et au Chaudron, il avait été marqué à jamais par les poteaux carrés. Dans la Pravda de ce jeudi 22 août 2019, il cite à nouveau l'ASSE dans ses clubs de coeur.

"Est-ce que je suis plutôt Ligue 1 ou Bundesliga ? Je regarde les deux, mais j'avoue que je m'identifie plus à Francfort, à la Bundesliga donc, qui est plus physique et rapide que le Championnat de France. Il y a plus de densité. En Ligue 1, j'aime bien Saint-Étienne, alors que c'est plus difficile de s'identifier au PSG. Sinon, j'ai toujours un faible pour Reims, pour son histoire. C'est la nostalgie de mon enfance."