Bernard Lavilliers
(artiste)

Au point de vue économique, l'ASSE est tout simplement incontournable pour chaque Stéphanois.
Vous savez, hormis le fait d'aller au stade, j'ai eu, dès mon plus jeune âge, l'habitude de prendre mon ballon de football et de porter le maillot de l'ASSE. Que ce soit en poussins ou en pupilles, je jouais chez les Verts.. Je n'ai pas oublié les quelques apparitions de Rachid Mekloufi qui venait nous donner des conseils. Quel bonheur!

            
Interview parue dans But Saint-Etienne  N° 9   (Mai 2000)    

"La rivalité entre Saint-Etienne et Lyon est une rivalité d'images d'Epinal"

Dimanche, le derby entre l'AS Saint-Etienne (3e) et l'Olympique lyonnais (1er) animera la 16e journée de Ligue 1. Mais la rivalité footballistique la plus folklorique du football français repose sur un antagonisme traditionnel entre les habitants des deux cités distantes d'à peine 50 km. L'auteur, compositeur et chanteur Bernard Lavilliers, né dans l'agglomération stéphanoise, évoque avec amour la préfecture de la Loire et sa voisine, celle du Rhône, et décrypte les images d'Epinal accolées aux deux villes.
Allez-vous regarder le match dimanche et suivez-vous le parcours des Verts ?
Lorsque les Verts sont en haut du classement, je porte un peu plus intérêt au football. Pas par chauvinisme. Mais je dois avouer que je ne lis pas L'Equipe tous les jours... Mais là, c'est quand même Lyon dans le Chaudron. 

En 1984, dans Lyon-sur-Saône sur l'album Tout est permis, rien n'est possible, vous chantez : "Lyon sur Saône, la secrète, souterraine, l'emmurée"...
C'est l'image d'Epinal de la ville. J'écris Lyon comme ça : la ville des soyeux, des grands bourgeois, catholique, la sœur aînée de l'Eglise, ses nombreux couvents. C'est la capitale des Gaules quand même, entre nord et sud. Les Lyonnais ont un côté assez froid, vu de l'extérieur. C'est la ville des secrets à mi-voix. Entrer dans une famille de bourgeois lyonnais, c'était presque inaccessible pour un ouvrier stéphanois comme moi. Les franc-maçons y sont aussi très présents.

Et l'image d'Epinal de Saint-Etienne, c'est celle de la ville ouvrière ?
Oui, Saint-Etienne, c'est la ville ouvrière. J'en parle d'une façon particulière. Il y a aussi des grands bourgeois, mais ils sont moins présents. Les boulots emblématiques sont l'acier, la mine. Et qui dit ouvriers, dit population adepte du football. C'est le rythme du travail en 3 × 8, on est pauvres, c'est une ville dure. La cité est enclavée dans une cuvette, froide et polluée. Saint-Etienne est une ville attachante, fêtarde et laborieuse. Le travail y est plus important que l'argent. J'en profite d'ailleurs pour rectifier une erreur fréquente sur mon parcours. J'ai travaillé à la Manufacture d'armes de Saint-Etienne (MAS), spécialisée dans l'armement. Jamais à Manufrance, qui vendait des cycles et des fusils de chasse. Il y a à Saint-Etienne une tradition de l'artisan-ouvrier, c'est pour cela qu'elle n'a jamais été vraiment à gauche. Et, de toute façon, les ouvriers ne sont pas tous révolutionnaires.

Pour aller plus loin que les réputations, Lyon a également une tradition révolutionnaire ancienne. C'est une ville contrastée et mélangée. Vous le soulignez : "Lyon sur Bronx, des Minguettes, la violente, l'émigrée – Et puis Feyzin la violette, la flambante, l'Enfumée"…
Oui, ce n'est pas seulement les industriels soyeux, c'est aussi la classe des ouvriers-tisserands, les canuts. Avant la Commune, les premières révoltes ouvrières s'y sont produites (1831 et 1834). J'ai souvent chanté "Le chant des Canuts", écrit à la fin du 19e siècle par Aristide Bruant pour célébrer ce soulèvement populaire. Le premier couplet c'est d'ailleurs : "Pour chanter Veni Creator, il faut une chasuble d'or, nous en tissons pour vous, grands de l'Eglise, et nous pauvres canuts, n'avons pas de chemises". C'est une chanson plus anar que bolchevique. 

Vous avez chanté dans les usines occupées de Lyon en mai 1968.
Je vivais déjà à Paris à l'époque, mais j'ai vécu les événements de 1968 entre Saint-Etienne et Lyon. J'ai chanté dans les usines occupées des deux villes. On s'est fait un coup de nostalgie, comme en 1936, dont on avait tous entendu parler. Le jour, debout sur les machines ou monté sur trois caisses de bières, je me suis inscrit dans cette tradition musicale des occupations d'usine. Et je continue encore. La nuit, on courrait les petits bars, les cabarets du vieux Saint-Jean ou des pentes de la Croix-Rousse. On y reprenait le répertoire des chansons anarcho-syndicalistes.

Ces deux villes ont-elles changé ?
Mon père est venu à Paris pour assister à mes récents concerts au théâtre du Châtelet. Lors d'un dîner, avec mes amis, il a dit en référence à ma chanson Saint-Etienne, que je chantais une ville qui n'existe plus. Mon usine, la Manufacture d'armes de Saint-Etienne, est devenue la Cité du design avec une biennale internationale. Quand j'y retourne, je constate ces changements. C'est devenu une ville plus tertiaire. On a assisté dans le bassin stéphanois à ce qui s'est passé et se déroule encore actuellement en Lorraine. Je suis les événements de Florange, le combat du syndicaliste Edouard Martin. Cela fait trente ans que je soutiens les sidérurgistes. C'est un soutien viscéral.
Je me rends compte que je connais désormais plus Lyon que Saint-Etienne. C'est une ville qui a fait des efforts. Je n'aurais jamais imaginé Lyon aussi culturelle. Il y a une place importante laissée à la musique, la danse, le théâtre... A deux heures de Paris, le TGV a beaucoup joué. C'est une capitale d'Europe du Sud. Lyon possède de longue date ce côté italien. Les éclairages la nuit, les collines, les deux fleuves, c'est une très belle ville.

Finalement, cette rivalité ouvrier/bourgeois entre les deux villes existe-t-elle encore ?
Elle est terminée. Cette dichotomie entre la capitale de l'acier et du charbon et la capitale des Gaules est éteinte. Lyon s'est développée. Saint-Etienne a perdu de la population. Cette rivalité est plutôt une rivalité d'images d'Epinal.

Dans Saint-Etienne, extrait de l'album Le Stéphanois en 1975, vous débutez par : "On n'est pas d'un pays mais on est d'une ville". Est-ce que le patriotisme lié au sport vous dérange ?
Je n'ai rien contre la patrie, mais beaucoup d'escrocs instrumentalisent ce mot. Une ville, c'est formateur. Il y a un cordon ombilical avec ses origines. Après, j'ai toujours refusé d'être ambassadeur de Saint-Etienne quand on me l'a proposé. Trop de coteries, de réceptions entre soi dans les beaux salons. Il faut prendre du recul sur les enjeux réels d'une rencontre entre deux équipes de foot, dont la plupart des joueurs ne sont ni de Saint-Etienne, ni de Lyon.

Votre musique est influencée de vos voyages, du Brésil à l'Amérique centrale, de New York à l'Asie du Sud-Est. Et pourtant, vous conservez ce lien avec vos origines.
On a tous besoin d'attaches. Mais cela peut être très encombrant, les attaches. J'ai connu des types, accoudés au comptoir, qui me parlaient du Brésil : "Tu as été là-bas, je vais y aller, comme toi." Dix ans après, ils étaient toujours au comptoir. Trop d'enracinement tue le voyage.

Est-ce que lorsque l'on grandit à Saint-Etienne, on est forcément un amoureux des Verts ?
C'est un peu comme à Marseille, où il est impossible de dire que l'on n'aime pas l'OM. Même si je ne suis pas vraiment le football, j'ai moi-même joué dans les petites catégories. J'étais gardien de but. Mon sport, c'est la boxe. Je l'ai pratiqué longtemps, je continue à le suivre de près. C'est différent d'un affrontement entre deux villes le dimanche ; le foot, c'est parfois une fête un peu guerrière. Dans la boxe, j'ai retrouvé le côté individualiste. C'est comme écrire mes chansons. On ne peut compter que sur soi. Je suis farouchement individualiste, ce qui ne s'oppose pas à mes engagements collectifs. La musique, je la sens collectivement. J'ai besoin de la partager avec mes musiciens, mes techniciens.

Interview parue dans Le Monde daté du 7 décembre 2012

Bernard Lavilliers revient sur ses  vertes années (22 octobre 2017)

Encore sur la route pour promouvoir son nouvel album "5 Minutes au paradis", Bernard Lavilliers 71 ans) s'est confié à la Pravda. Plus très jeune mais toujours aussi large d'épaules, le chanteur stéphanois évoque ses vertes années.

 "J’étais batailleur… Fallait pas me dire un mot de travers, attention ! J’étais en colère et assez turbulent. Disons que je n’avais pas peur. Alors il y a eu des bagarres de rue... Pas de règles. A l'époque j’étais tout maigrelet et asthmatique parce que Saint-Étienne était très polluée. Mes parents, dans leur grande tendresse, m’ont emmené à la campagne, à dix kilomètres de là, et je me suis rebecté. Quand on est revenus en ville, mon père m’a fait prendre des cours de boxe pour apaiser ma colère. J’avais douze ans et ça m’a fait du bien. La boxe m’a calmé, m’a appris la discipline.

 J’étais gardien de but en minimes. Ce que j’aimais à l’école de foot, c’est que vous étiez encadrés. Vous faisiez des progrès. Vous vous faisiez engueuler. J’adore le foot ! Avec mon père et mon frère, fin des années 1950, début 1960, on allait à Geoffroy-Guichard voir les frères Michel et Richard Tylinski, Rachid Mekhloufi, Robert Herbin qui jouait demi-centre, un seigneur qui distribuait le jeu. Après, pendant la grande époque, j’étais déjà loin, sur les routes."