Dominique Rocheteau |
J'ai toujours beaucoup de plaisir à
revenir. Ca me rappelle beaucoup de souvenirs. Les gens sont très sympas
avec moi, je suis très bien accueilli. Et puis, il y a une excellente
ambiance dans ce stade, même si je trouvais qu'il était un peu plus
chaud avant. Je me souviens de la communion avec le public. Quand on
entrait dans ce stade, il se passait quelque chose entre les supporters
et les joueurs. |
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Du 9 au 13 juin 2014, entre 20h00 et 20h30, la radio France Culture a diffusé dans "A voix nue" un long entretien de Dominique Rocheteau. L'Ange Vert revient longuement sur ses vertes années, comme l'atteste ce premier extrait. "Je suis parti très tôt à Saint-Etienne. J’ai fait le choix du foot et je le dois d’ailleurs beaucoup à mes parents. Le père d’un joueur de Saint-Etienne, Thierry Oleksiak, m’a remarqué lors d’un match de jeunes. Il en a parlé à Pierre Garonnaire qui est venu me voir à la finale du concours de jeuens footballeurs, à Paris, et il m’a proposé de faire un stage à Saint-Etienne. J’ai donc fait ce stage en compagnie de toutes les stars : Bereta, Keita, Bosquier. Mais j’étais à cent lieues de penser que je ferai une carrière professionnelle. J’habitais alors à Etaules, un petit village charentais loin du football professionnel. Il était inimaginable, à l’époque, de partir de la région pour jouer au football. Lorsque Pierre Garonnaire est venu à la maison pour me faire signer un contrat, j’avais quinze ans et demi. Je jouais dans le club de La Rochelle. Le président du club a su que le recruteur de l’ASSE était chez nous et il est venu également. Cette rencontre organisée, en présence de mes parents évidemment, s’est très mal passée. Les deux hommes se sont insultés. Le président du club de La Rochelle m’avait pris sous sa coupe et il a réagi comme quelqu’un qui ne comprenait pas que l’on vienne me « kidnapper ». Pour lui, il y avait le football amateur et le foot professionnel était un autre monde. A ce moment, j’ai décidé, seul, de partir de Saint-Etienne. Mes parents ne connaissaient pas le monde du football professionnel et ils avaient certainement un peu d’appréhension. Ils ont demandé à ce que je continue mes études normalement. C’est ce que j’ai fait en arrivant à Saint-Etienne, je suis allé au lycée. Il n’existait pas de centre de formation intégré au club à cette époque. Le club de Saint-Etienne, comme celui de Nantes, allait chercher des jeunes mais il n’y avait pas encore de centre de formation, si bien que nous étions livrés à nous-mêmes dans des appartements en ville, à quinze ans et demi. Lorsque j’ai signé, je me disais que ce serait une expérience, mais je ne pensais pas faire carrière professionnelle. Le soir, après l’entraînement avec les amateurs, je prenais le tramway pour rentrer. J’ai fait ma première et ma terminale dans ces conditions. Je ne sais pas si vous vous rendez compte du changement de vie, d’endroit. Je vivais près de l’Atlantique, en bord de mer, près de la plage, et je suis retrouvé à Saint-Etienne. C’est à l’âge de dix-huit ans, en passant mon bac, que j’ai pris la décision. Je suis parti à l’armée, au Bataillon de Joinville réservé aux sportifs de haut niveau, et à ce moment-là j’ai décidé de devenir footballeur professionnel. Mon ami et futur capitaine de l’équipe, Jean-Michel Larqué, a fait son professorat d’éducation physique tout en étant footballeur, mais je voyais aussi d’autres jeunes à côté de moi qui arrêtaient leurs études ou qui les poursuivaient par correspondance. Il fallait donc faire un choix. J’ai fait ce choix avant de passer le bac. J’y suis allé les mains dans les poches car je savais que je ne l’aurais pas et je ne l’ai pas eu. Signer un contrat de stagiaire à Saint-Etienne, c’était un peu le rêve quand même. Je côtoyais quelquefois les professionnels mais je ne m’entraînais pas souvent avec eux.Je rêvais un peu car j’allais voir les matches de Coupe d’Europe où jouait Salif Keita par exemple. Je me disais en le regardant évoluer que le fossé était grand. Ce n’est pas parce que j’étais à Saint-Etienne, en formation, que j’allais réussir, et puis je faisais mes études à côté. J’ai joué mon premier match à dix-sept ans. J’allais au lycée, je ne m’entraînais pas encore avec les pros et un jour Robert Herbin m’a convoqué pour me dire que j’allais m’entraîner avec eux pour jouer le dimanche suivant. Mais je ne pouvais pas m’entraîner avec eux puisque j’étais au lycée. Il m’a fait faire un ou deux entraînements individuels et j’ai joué le week-end. Je n’ai pas un très bon souvenir de ce match parce que physiquement je n’étais pas prêt à jouer à ce niveau-là. Je ne m’entraînais pas comme les professionnels. Tous mes copains d’école sont venus voir le match pour m’encourager. Je me suis dit qu’il existait vraiment un fossé et que les choses allaient être dures. J’ai de nouveau joué avec les pros un an après et cela allait déjà mieux. Je partageais un appartement avec deux autres footballeurs qui n’ont pas fait carrière. A l’âge de dix-huit ans, ils n’ont pas pu jouer à Saint-Etienne et ils sont repartis chez eux. Dans ce milieu, les élus sont peu nombreux. J’étais livré à moi-même dès l’âge de quinze ans et demi et cela forge le caractère. L’esprit de compétition, on l’a ou on ne l’a pas. Je crois que je l’avais déjà quand je jouais au football à trois ou quatre ans. Ensuite, mon père me l’a sûrement inculqué quand on jouait dans le jardin, mais je crois qu’on l’a au départ. Mon père m’a inculqué le plaisir de jouer, notamment en le regardant évoluer puisque je le suivais tous les dimanches dans les compétitions locales. Il était pour moi un exemple. Son comportement sur le terrain m’a beaucoup apporté. Le plaisir de jouer, c’est avoir un grand respect pour ce que tu fais, pratiquer un sport sans arrière-pensée. Même quand je suis passé professionnel, il n’y avait pas de différence par rapport aux moments où je jouais étant gamin. Le plaisir de jouer était intact, je jouais au football pour m’amuser. Pour faire le spectacle aussi, mais pour me faire plaisir avant tout. Quand tu te fais plaisir, tu peux alors faire plaisir aux autres."
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Deuxième extrait. "J’ai pris conscience que j’avais une certaine faculté quand j’étais gamin, parce que je marquais beaucoup de buts. Pour moi, le foot consistait à marquer des buts, jouer avec les copains, bien sûr, mais surtout à marquer. Quand je suis arrivé à Saint-Etienne, j’ai compris que le football était aussi autre chose. Ce club m’a apporté le sens du collectif, le plaisir de jouer avec ses partenaires, de faire une passe pour son copain. L’ASSE, c’était le meilleur club français à l’époque, déjà champion de France, ayant réalisé des exploits en coupe d’Europe dans les années 1960. Le club avait déjà accueilli beaucoup de grands joueurs comme Keita, Herbin, Jacquet, et de grands entraîneurs passionnés (Snella, Batteux) qui ont apporté des valeurs telle que la rigueur qui manquait peut-être au football français à l’époque. C’est aussi pour cela que l’ASSE était en avance sur d’autres clubs. Ce sont les hommes qui font un club. La ville de Saint-Etienne était une ville de mineurs, de gens qui s’identifiaient à leur équipe, aux joueurs, avec des valeurs de dureté, de travail, de solidarité. Ce ne sont pas des vains mots : à Saint-Etienne, nous parlons encore de ces valeurs et nous essayons de les conserver. On intègre facilement ces valeurs en regardant les autres, en voyant comment les choses se passent, en allant voir les matches, les supporters, les gens qui vivent pour le club. Cette ville vit à l’heure du football, il se joue vraiment une identification forte entre les supporters et les joueurs, un courant passe. Les supporters veulent des joueurs qui mouillent le maillot, qui donnent tout pour le club. Quand je suis arrivé à Sainté, j’aimais bien Salif Keita, un grand joueur, j’aimais surtout les attaquants. Mais mes idoles étaient plutôt des musiciens de groupes de rock et non pas des joueurs de foot. J’ai très tôt été nourri par la musique anglo-saxonne, californienne en particulier. J’ai joué de la guitare, de la batterie à un rythme effréné. J’ai essayé mais je n’étais pas un musicien au sent total, j’étais plus mélomane que musicien. Mes idoles étaient Robert Plant, Keith Richards, John Bonham, Jimmy Page. J’ai quand même fait un jingle au début de Canal Plus. J’étais fier car Gainsbourg en avait fait un pour les enfants. Il fallait un jingle pour le sport et c’est à moi qu’ils ont fait appel. J’ai fait un petit enregistrement de batterie et de percussions qui est resté quelques temps sur Canal. Quand j’étais stagiaire à l’ASSE, le doute s’est installé au moment de mes blessures. Pendant ces trois années, j’ai été blessé souvent. J’étais attaquant, donc un joueur à risque, très près de l’adversaire. J’ai eu quelques opérations. C’était difficile et j’ai plusieurs fois eu envie de repartir chez moi, dans ma région, pour reprendre le métier de mon père, ostréiculteur. Après, je me suis battu. L’année charnière a été celle passée au Bataillon de Joinville où j’ai beaucoup travaillé, et tout s’est enchaîné. J’ai joué rapidement en équipe de France, appelé par le sélectionneur Stefan Kovacs. Ma carrière a vraiment démarré à l’âge de dix-neuf ans." Source : Poteaux Carrés |