L'interview de Didier maestro Zokora 
Interview de José Aloisio du site ASSE-online. Merci à lui et félicitations pour ce remarquable travail ! 

Vendredi 25 février 2005

Le milieu de terrain ivoirien de l'ASSE s'est confié longuement à asse-online : son parcours, l'Académie de Sol Béni, son pays, la sélection, ses goûts musicaux. Une première partie riche et consistante qui sera suivie demain par une seconde partie, plus centrée sur l'ASSE et le Derby.

Maestro, comment est née ta vocation de footballeur ?
J’ai commencé à taper dans un ballon à l’âge de 5/6 ans, à Yopougon, un quartier populaire au nord d’Abidjan, la capitale économique et culturelle de mon pays (Yamoussoukro est la capitale administrative de la Côte d’Ivoire). Je jouais dans la rue avec des copains et avec mes frères. Nos parties étaient interminables, parfois on jouait jusqu’à 11 heures du soir ! Je m’amusais beaucoup, je pensais tout le temps au football…

Enfant, avais-tu un modèle dans le football?
Tout jeune, et jusqu’à une période récente, je jouais défenseur central. Quand j’avais 10-12 ans, mon modèle c’était Laurent Blanc. Un joueur élégant, technique, très fort. J’ai suivi avec attention son parcours, il a joué à Naples et je me souviens de son passage à Saint-Etienne. Encore aujourd’hui, ça reste une référence pour moi : un joueur exemplaire doté d’un sacré palmarès !

Quel est selon toi le meilleur joueur ivoirien de tous les temps ?
Laurent Pokou : un attaquant exceptionnel, c’est une star en Côte d’Ivoire. Il est le meilleur buteur de l’histoire de la CAN. Il a joué dans le championnat de France dans les années 70 (à Rennes), mais bizarrement je crois qu’il n’est pas très connu ici !

Tes parents ont-ils encouragé ta passion pour le football ?
Oui, j’ai pu compter sur le soutien de mes parents. Mon père a joué au football à un niveau régional, je pense qu’il était fier que je sois intégré à l’Académie de Jean-Marc Guillou avec mon frère. Mais hélas mon frère est mort, il y a eu un problème à la mer…

Un problème à la mer ?
Mon frère s’est noyé, j’étais présent mais je n’ai rien pu faire. On a essayé de le ranimer, mais c’était trop tard. J’adorais mon petit frère, je pense à lui souvent et quelque part si je joue c’est aussi pour lui.

Comment as-tu réagi après ce drame ?
C’est pour ma mère que ça a été le plus difficile à vivre. Perdre un enfant, c’est une épreuve terrible…Evidemment c’était très dur pour moi, même si j’ai été soutenu par mes proches et par les responsables de l’Académie. D’ailleurs mon frère Armando a donné son nom à la deuxième promotion de l’Académie, celle d’Arthur Boka (Strasbourg).

Dans quelles circonstances as-tu rejoint l’Académie de Jean-Marc Guillou ?
Comme mon ami de Yopougon Yapi-Yapo, qui joue à Nantes, j’ai été repéré à l’occasion des tournois inter quartiers organisés à Abidjan. A 13 ans, j’ai rejoint l’Académie de Jean-Marc Guillou.

En France, on connaît bien l’Académie des 9 de Jean-Pierre Foucault, qui a sorti des avant-centre de haut niveau comme Patrick Topaloff; on connaît trop la Star Academy du bellâtre Nikos. On connaît moins l'Académie de Jean-Marc Guillou, quels souvenirs gardes-tu de ta formation à Sol Béni ?
J’ai passé 6 années formidables à l’Académie Mimosifcom. J’ai tout appris là-bas, à la fois en tant que footballeur et en tant qu’homme. Sur le plan du jeu, j’ai pris beaucoup de plaisir car l’Académie prônait le beau jeu, le jeu à la nantaise. On s’amusait sur le terrain, et ça c’est très important car le football reste avant tout un jeu. Ce que j’ai apprécié également, c’est qu’on mettait nos qualités techniques au service du collectif : ça aussi c’est fondamental. Au-delà du foot, j’ai aussi suivi des cours de français, d’anglais et d’espagnol. J’ai surtout appris à devenir un homme à l’Académie grâce à Jean-Marc Guillou.

Selon le proverbe peul, « on façonne l’argile pendant qu’elle est humide ». Comment as-tu été façonné par l’Académie ?
Jean-Marc Guillou nous a inculqué certaines valeurs auxquelles je suis resté attaché : le respect, l’honnêteté, le fair-play, la ténacité. C’est pour ça que je considère Guillou comme un second père et que je suis resté en contact avec lui. C’est une personne qui a compté énormément dans ma vie, et ça je ne l’oublierai jamais.

As-tu gardé des contacts étroits avec les autres Académiciens ?
Ah ça oui ! On a passé tellement de bons moments ensemble… On a gardé des liens très forts entre nous, ça va au-delà d’une simple amitié. Gilles Yapi Yapo (Nantes), Habib Kolo Touré (Arsenal), Aruna Dindane (Anderlecht), Baky Koné (Lorient), Arthur Boka (Strasbourg), sans oublier tous ceux qui jouent dans le championnat de Belgique et tous les autres : ce sont plus que des amis, je les considère comme des frères. On s’appelle très souvent, on se donne des nouvelles, on s’encourage mutuellement. Et c’est toujours une joie pour moi de les retrouver, que ce soit en championnat de France ou avec l’équipe de Côte d’Ivoire.

Etais-tu déjà surnommé Maestro lorsque tu étais académicien ? As-tu été surnommé ainsi par référence au célèbre producteur et arrangeur africain Maestro Boncana Maïga ?
J’adore la musique africaine mais mon surnom ne vient pas de là. En revanche, c’est bien à l’Académie qu’on m’a donné ce surnom, qui m’est resté depuis. Un des académiciens m’a appelé comme ça lors d’un match, parce qu’il trouvait que j’avais une certaine maestria sur le terrain. Il s’agit d’Ibrahim Amuah, qui joue maintenant aux Emirats Arabes Unis. Il a lancé ce surnom « Maestro » sous la forme d’une boutade mais ce surnom a été repris et adopté par mes coéquipiers, et je trouve ça plutôt sympa.

Les Académiciens ont frappé le monde du football en remportant un éclatant succès contre l’Espérance de Tunis, en février 1999. Quels souvenir gardes-tu de cette fameuse rencontre ?
J’ai un super souvenir de ce match car c’est ma première grande victoire. C’est LE match qui a fait connaître l’Académie. Avec l’ASEC d’Abidjan, on a battu 3-1 l’Espérance de Tunis en finale de la super coupe d’Afrique. On a dominé ce match alors qu’on sortait tout juste de l’Académie, dans l’équipe on avait tous 17-18 ans. On s’est vraiment éclaté, d’autant plus que le stade Houphouët-Boigny d’Abidjan était rempli.

Cette victoire retentissante a forcément attiré l’attention des clubs européens. Dans quelles circonstances as-tu été transféré à Genk (Belgique) ?
Lors du tournoi international de Toulon en 2000, j’ai été repéré par des recruteurs du club de Genk, en Belgique. J’ai été le premier Académicien à être recruté par un club européen. Dans la foulée, Aruna Dindane a signé dans un autre club belge, Anderlecht. Pour ma part, j’ai joué à Genk pendant 4 saisons, avant de rejoindre Saint-Etienne.

Quel bilan fais-tu de ton histoire belge, une fois ?
Au début, ça a été vraiment difficile, d’autant plus que Genk est dans la Belgique flamande, où l’on ne parle pas français. Je ne comprenais pas tout. Il a également fallu que je m’adapte au climat froid et pluvieux : ça m’a fait un sacré changement car avant j’avais toujours vécu en Côte d’Ivoire ! Heureusement, je me suis habitué à cette nouvelle vie petit à petit. Akram Roumani, défenseur marocain finaliste de la dernière CAN, m’a aidé à m’intégrer dans le club. J’ai également sympathisé avec le défenseur camerounais Eric Matoukou. Un joueur que je vais peut-être retrouver d’ici quelques mois lors des éliminatoires de la coupe du monde 2006.

Ma deuxième saison à Genk, j’ai été champion de Belgique. On avait un super duo d’attaque composé de Wesley Sonck et Moumouni Dagano. La saison 2001-2002, ils ont marqué 50 buts à eux deux en championnat !

Ce titre de champion de Belgique t’a permis de découvrir la Ligue des champions.
Exact, j’ai vécu de grandes émotions en jouant cette compétition. Evidemment, ça a été très dur pour notre équipe car on s’est retrouvé dans le groupe du Real Madrid, la Roma et l’AEK Athènes! On n’a pas réussi à gagner un match, mais on a tout de même concédé le nul à domicile face au Real. A Madrid, j’ai vraiment souffert face à Figo et Raul. A 2 minutes de la mi-temps, il y avait toujours 0-0 mais à la 44ème minute je marque contre mon camp. La minute suivante, on en prend un deuxième…

Et à la fin du match tu es retourné en Belgique avec une belle roue de bicyclette, ce qui n'a rien d'infamant au pays du vélo...
Hou, la 2ème mi-temps a été très pénible, et au final on est reparti avec une valise de 6 buts ! Une belle fessée mais c’était l’apprentissage du haut niveau. Madrid et Genk ne boxent pas dans la même catégorie!

Mais globalement, j’estime que ma période belge a été positive car elle m’a permis de progresser.

As-tu été victime de comportements racistes depuis que tu as quitté la Côte d’Ivoire ?
Oui, j’ai fait l’objet d’insultes racistes quand j’ai joué en Belgique. Dans de nombreux stades, il m’est arrivé d’entendre des spectateurs faire des cris de singe quand je touchais le ballon. Heureusement, je n’ai pas eu à subir le même genre de traitement depuis que je joue en France.

Tant mieux, mais comme tu le sais, le racisme existe aussi dans notre pays. Un exemple parmi d’autres : après votre superbe victoire à Bastia, quelques énergumènes bastiais ont traité le Guadeloupéen Pascal Chimbonda et le Congolais Franck Matinguou de « sales Nègres ». Comment réagis-tu à ce genre d’attaques, et que penses-tu de la campagne « Stand up, speak up » imitée par Thierry Henry ?
Je suis évidemment choqué et consterné par les comportements racistes, quels qu’ils soient.
La première fois qu’on m’a adressé des cris de singe, je n’ai pas compris immédiatement, puis j’ai été atterré devant une telle bêtise, ça m’a mis en colère. Samuel Eto’o fait fréquemment l’objet d’attaques racistes dans le championnat espagnol, et je vois les choses comme lui quand il dit que certains supporteurs réagissent comme un troupeau : un commence, puis dix, puis cent suivent et font : « ouh, ouh, ouh ! ». J’ai remarqué qu’ils ne conspuent pas les Noirs qui évoluent dans leur équipe, mais ceux qui sont dans les rangs de l’adversaire : ça prouve bien leur bêtise ! La campagne menée par Thierry Henry va dans le bon sens, j’espère qu’elle aura un effet positif. Ce qui est encourageant, c’est que le monde du foot se sente enfin concerné et se mobilise pour enrayer les comportements racistes.

Tu t’es imposé dans le championnat belge et dans le même temps tu es devenu un joueur important de la sélection ivoirienne. On va maintenant faire appel à ta mémoire d’éléphant : de quand date ta première apparition en sélection ?
J’avais 18 ans, et l’entraîneur de la sélection nationale était Patrick Parizon. J’ai ensuite été sélectionné par son successeur, Lama Bamba, et en 2002 j’ai participé à la Coupe d’Afrique des Nations au Mali. Après avoir fait match nul contre le Togo, notre équipe a perdu contre le Cameroun (1-0) et lors de notre match décisif contre la République Démocratique du Congo, on a de nouveau perdu (3-1)!
A l’époque, il y avait un certain flottement dans l’équipe, et beaucoup de joueurs disputaient la CAN pour la première fois. Malgré cet échec, j’ai beaucoup appris pendant cette compétition.

L’élimination des Eléphants dès le premier tour a été fatale à Lama Bamba, et Robert Nouzaret a été votre nouveau cornac. L’arrivée de l’ancien entraîneur des Verts a été décisive pour toi, car tu as changé de poste sur le terrain !
Exact ! Auparavant, je jouais libéro, aussi bien dans mon club à Genk que dans l’équipe de Côté d’Ivoire. Robert Nouzaret est venu me voir jouer plusieurs fois en Belgique et c’est lui qui a eu l’idée de me repositionner en milieu de terrain défensif. D’emblée je me suis senti très à l’aise dans ce nouveau poste. D’ailleurs ça tombe bien, je préfère jouer milieu de terrain. C’est désormais la place que j’occupe, avec les Eléphants et avec les Verts !

En effet, tu es un titulaire indiscutable au milieu de terrain dans les équipes dirigées par Henri Michel et Elie Baup ! La Côte d’Ivoire n’a pas réussi à se qualifier pour la CAN 2004, mais elle est bien partie pour disputer la coupe du Monde de 2006 en Allemagne. Quel est le bilan des Eléphants à mi-parcours des éliminatoires ?
Le bilan est très positif, nous sommes en tête de notre groupe. Nous avons 4 points d’avance sur le Cameroun et 5 sur l’Egypte, sachant que pour l’instant la Libye est 2ème à 2 points de la Côte d’Ivoire. Pour se qualifier en coupe du monde, il faut finir premier. C’est plutôt bien parti, d’autant plus qu’on affrontera nos 2 principaux rivaux à domicile : on reçoit l’Egypte en juin et le Cameroun en septembre. La qualification se jouera sans doute lors de ces 2 matches, mais il faudra bien négocier nos matches contre les équipes présumées plus faibles, à commencer par le Bénin, qu’on rencontre à Abidjan le 25 mars prochain.

A 24 ans, tu comptes déjà une trentaine de sélections en équipe nationale. Pour toi, que représente l’équipe des Eléphants ?
C’est toujours un honneur d’être appelé dans la « Séléphanto », je ressens une grande fierté quand je joue pour mon pays. En plus, il y a une très bonne ambiance dans l’équipe. Je connais certains coéquipiers depuis très longtemps car plusieurs joueurs sont issus comme moi de l’Académie. On a vraiment des joueurs très talentueux, et évidemment on rêve tous de se qualifier pour la coupe du monde. On a un bon groupe et je crois vraiment en nos chances.

Un éléphant, ça trompe énormément… les gardiens adverses, comme le prouvent les nombreux buts inscrits par Didier Drogba et Aruna Dindane. Chacun sait également que l’éléphant est recherché pour ses défenses…et ses défenseurs comme Habib Kolo Touré, et Abdoulaye Meité. Autre point fort des Eléphants : « le magic system » du mileu de terrain, avec comme premiers gaous Tchiressoua Guel, Yapi Yapo, et un certain Maestro… Quels sont les points faibles de la sélection ivoirienne ?
Comme tu viens de le rappeler, on a de bons éléments dans chaque secteur du jeu et on n’a pas de réelle lacune. Mais notre groupe est jeune, il dispose encore d’une marge de progression. Je ne pense pas qu’on ait un réel point faible. En revanche, il faut faire attention. Beaucoup de gens nous disent qu’on forme une génération exceptionnelle, qu’on va se qualifier sans problème en coupe du Monde, certains pensent même qu’on va cartonner si on va en Allemagne. On est très sollicité par les médias et par nos supporters. Il faut qu’on arrive à gérer tout cet environnement et qu’on se remette en question en permanence pour obtenir des résultats. Il faudra bien prendre garde de ne pas tomber dans la facilité, car à un haut niveau ça ne pardonne pas. Pour être performant, le talent seul ne suffit pas. Il faut se battre sur le terrain et rester concentré.

Les belles performances des Eléphants suscitent un extraordinaire engouement en Côte d’Ivoire mais ton pays traverse hélas une crise majeure. En octobre 2000, on a découvert un charnier de 57 cadavres dans ton quartier, à Yopougon. Depuis septembre 2002, ton pays est en guerre civile : les forces armées nationales de Côte d’Ivoire (FANCI) du président Gbagbo luttent contre les Forces Nouvelles qui occupent le nord du pays. Malgré les interventions de l’ONU, la situation reste très tendue. Suite aux troubles de novembre dernier, de nombreux ressortissants français ont quitté la Côte d’Ivoire. Que penses-tu de la situation politique actuelle de ton pays ? En discutes-tu parfois avec les autres internationaux ivoiriens ?
Je suis évidemment triste de la situation actuelle dans mon pays, mais je ne tiens pas à m’étendre sur le sujet car je joue au football, je ne fais pas de politique. Ceci étant, j'espère de tout mon coeur que la Côte d’Ivoire retrouvera enfin la paix. Je suis évidemment inquiet car j’ai de la famille et de nombreux amis en Côte d’Ivoire. Je les ai régulièrement au téléphone, ça me rassure. Au sein de la sélection ivoirienne, on vient d’ethnies et de régions différentes mais on s’entend très bien. Je pense que le football peut être un facteur d’unification, de paix. Dans le contexte actuel, le foot est très important dans le pays, et personnellement je suis convaincu que nos bons résultats peuvent avoir des répercussions positives et contribuer au retour au calme dans le pays.

Le grand écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma a écrit : « quand le tam-tam frappe, on ne se proclame pas meilleur danseur, on le prouve ». Il paraît que tu démontres tes talents de danseur à chaque fois que tu retrouves les Eléphants. Ta réputation d’ « ambianceur » est-elle usurpée ?
Oui, j’aime beaucoup la musique africaine en général et la musique ivoirienne en particulier. J’adore danser et on me dit que je danse très bien. Avec les Eléphants, c’est vrai qu’on aime chanter et danser dans les vestiaires et pendant les déplacements. C’est notre façon à nous de préparer les matches, je sais que ça peut surprendre mais je trouve ça sympa, c'est dans notre culture.

La musique ivoirienne est réputée pour ses rythmes endiablés et sa grande inventivité. De nombreux courants musicaux sont nés à Abidjan, quels sont tes préférés ?
En fait j’écoute de tout : le reggae d’Alpha Blondy, le zoblazo de Meiway et son groupe le Zo Gang. J’aime surtout le zouglou : cette musique est apparue au début des années 90 avec Didier Bilé et son groupe « les Parents du Campus ». Plein de groupes se sont mis au zouglou : Les Salopards, les Poussins Chocs, Zougloumania. A Yopougon, les maquis [ndlr : terme ivoirien désignant les bars et autres boîtes de nuit] de la rue Princesse passent toujours du zouglou.

Le Groupe Magic System fait partie de ce courant zouglou, et son tube « premier gaou » a cartonné en France longtemps après sa sortie en Côte d’Ivoire. Aimes-tu ce groupe ?
Oui, leur musique est sympa et je sais que ce groupe est désormais très connu en Europe. Mais mon groupe préféré de zouglou, c’est « les Garagistes » : c’est un groupe qui vient de Yopougon. Je recommande leur album « Tapis rouge », c’est vraiment excellent et c’est la folie lorsqu’ils donnent des concerts !

Après certains buts des Verts, on te voit souvent danser près du poteau de corner avec Feindouno, Mendy, Piquionne et Ilunga. Tu peux nous en dire plus sur cette danse ?
Oui bien sûr ! On aime fêter les buts en dansant ensemble le coupé-décalé. Lors des entraînements, on se chambre pas mal les uns les autres et dès qu'on marque un but, on manifeste notre joie en inventant de nouveaux pas de danse. Le coupé-décalé est une danse très populaire en Côte d’Ivoire, très festive et plutôt marrante: tu fais un mouvement des bras vers l'avant un peu comme un nageur, et en même temps tu lances tes jambes en arrière.

Quelle est la différence entre le coupé-décalé et la prudencia, autre danse à la mode à Abidjan ?
C’est difficile à expliquer, viens me voir danser pour voir la différence ! Dans la prudencia de Don Mike et Rommy Roméo Nahounou, l’ambianceur dit à un groupe de danseurs « Y’a danger à droite, Y’a danger à gauche » : tout le monde suit en même temps à droite puis à gauche en se déhanchant.

J’imagine qu’ensuite, « Y’a danger devant » et « Y’a danger derrière », comme lorsqu’une équipe affronte les Eléphants ?
Héhé, tu as tout compris !

Merci! Un nouveau phénomène a été constaté en Côte d’Ivoire : le faraud-faraud. C’est quoi exactement ? Maestro est-il un adepte de ce mouvement ?
Un faraud, c’est un malin, un m’as-tu-vu. Le faraud-faraud, ç’est l’attitude qui consiste à jouer au flambeur, à afficher son goût pour la fête et le luxe. Je ne me reconnais pas dans ce mouvement car je ne suis pas quelqu’un d’arrogant. J’aime faire la fête mais je ne la fais pas en vue de me faire remarquer. On peut mettre de l’ambiance et rester humble.

Après un but, vous arrive-t-il de danser le mapouka avec tes coéquipiers stéphanois?
Le mapouka ? Heu, non, le mapouka c’est une danse traditionnelle ivoirienne qu’on n’a jamais testée après un but et je ne suis pas sûr qu'on arrive à imiter les danseuses de mapouka, qui bougent rapidement les fesses en gardant les hanches immobiles.

Fouilla, en effet ça ne doit pas être évident ! As-tu entendu parlé du Konami, la nouvelle danse qui fait fureur à Yopougon et qui tire son nom d’un fabricant de jeux video? Il paraît que pour être un as du konami, il faut savoir jouer au foot et avoir les épaules agiles. Tu sembles avoir les qualités requises…
J’en ai entendu parler en effet, mais je ne l’ai pas encore pratiqué. Je vais sans doute m'y mettre prochainement car je retourne à Abidjan dans un mois pour le match contre le Bénin. Je profite toujours des retrouvailles avec les Eléphants pour découvrir les meilleurs groupes et les meilleures danses du moment !

Lato Crespino, un de tes « frères » académiciens issu de la promotion Armando, a accordé récemment un entretien à « L’Intelligent d’Abidjan ». Crespino a déclaré : « en Europe, je pourrai signer un contrat de footballeur-chanteur car les matches de football sont prévus la journée. Et je pourrai faire ma musique la nuit. Ce qui m'embête un peu c'est que c'est fatigant, en ce sens que mon temps de récupération sera souvent restreint si je dois prester jusqu'à 3 heures du matin et aller à l'entraînement à 9 heures. » Selon toi, peut-on mener de front une carrière de footballeur professionnel et une carrière d’artiste ?
Non, je ne le pense pas. Je pense que Lato va devoir choisir et qu’il va privilégier la musique, même s’il est également doué au football. Il a une belle voix, il est vraiment doué comme artiste et son album « Gloire » a eu du succès. La vie d’artiste est difficilement conciliable avec le football de haut niveau. Tu dois faire attention à ta préparation quand tu es joueur pro. Par contre, il est possible de faire une carrière de chanteur après ta carrière de footballeur comme Gadji Céli : il a gagné la CAN 1992 avec les Eléphants, et ensuite il s’est lancé dans la chanson avec succès après son tube « et Dieu créa l’ASEC ».

Envisages-tu une telle reconversion ?
Je ne le pense pas car je n’ai pas une aussi belle voix !

Peux-tu nous rappeler les conditions de ton transfert à l’ASSE ? Pourquoi as-tu choisi de rejoindre les Verts, alors que tu étais également sollicité par des clubs comme Auxerre, Lille, Nantes et Strasbourg ?
En fait, j’ai choisi Saint-Etienne pour plusieurs raisons. Sur un plan sportif, j’ai considéré que ce club pouvait me permettre de franchir un palier. Les dirigeants stéphanois ont su me convaincre, et Damien Comolli a joué un rôle important dans mon transfert. Il me suivait depuis plusieurs années, notamment lorsqu’il s’occupait du recrutement d’Arsenal. Comolli est un ami de Jean-Marc Guillou, il est allé plusieurs fois en Côte d’Ivoire. J’ai été séduit par le challenge sportif et par la volonté des dirigeants de bâtir une équipe solide pour un promu. Saint-Etienne m’a également attiré car c’est un club prestigieux et très populaire. Les Verts, c’est un club mythique et tous ceux qui ont connu ce club m’en ont dit le plus grand bien : pour en avoir parlé avec eux, je sais que Tchiressoua Guel et Robert Nouzaret ont été profondément marqués par ce club, ils y ont vécu de grands moments.

Connaissais-tu déjà certains joueurs stéphanois avant de rejoindre l’ASSE ?
Oui car j’ai vu sur une chaîne de la télévision belge la demi-finale de la coupe de la Ligue Saint-Etienne-Sochaux. C’était un super match, l’ambiance dans le public était extraordinaire et j’ai découvert à cette occasion qu’il y avait d’excellents joueurs à Saint-Etienne. Lors de ce match, Julien Sablé m’avait tapé dans l’œil, je l’avais trouvé très bon !

Quel regarde portes-tu sur la ville de Saint-Etienne ?
Avec ma femme et ma fille Sarah, je me plais bien ici, je trouve que les Stéphanois sont des gens très gentils. J’habite dans un quartier tranquille du centre ville, Cours Fauriel. Parfois les gens me reconnaissent dans la rue, et ils m’adressent souvent des petits messages d’encouragement, je trouve ça très sympa.

On t'a aperçu à la 10ème édition du salon européen du chocolat qui se déroulait à Paris fin octobre 2004. As-tu déjà goûté aux succulents chocolats stéphanois, les Weiss?
J'ai été invité au salon du chocolat, où j'ai retrouvé mes coéquipiers Eléphants Didier Drogba, Aruna Dindané, Cyril Domoraud, Serge Dié et Bonaventure Kalou. En fait, j'y suis davantage allé en tant qu'ambassadeur de mon pays qu'en tant que consommateur

Le chocolat n'est donc pas le secret de ton étonnante vitalité?
J'aime ça, sans plus. Mais mon pays est le premier producteur mondial de cacao (40% du marché mondial), ce qui justifiait notre présence à ce salon. Je n'ai jamais goûté les chocolats Weiss dont tu me parles, mais j'essaierai peut-être.

A peine arrivé à l'ASSE, tu as indiqué aux journalistes du Progrès que ton objectif cette saison était de décrocher avec les Verts une qualification pour la Ligue des champions. Ta déclaration n'était-elle pas un tantinet présomptueuse ?
Pas vraiment, car je crois qu’il faut être ambitieux dans la vie ! En tout cas c’est ma philosophie, c’est ma façon de voir les choses. J’ai découvert la ligue des champions avec Genk, et j’aimerais goûter de nouveau à cette compétition. Maintenant, je savais pertinemment qu’il serait très difficile de viser les 3 premières places. Saint-Etienne était en D2 l’an dernier, et je me suis rapidement rendu compte que le niveau du championnat de France est plus élevé que celui du championnat belge.

Tu as du en effet revoir tes ambitions à la baisse car l’ASSE a connu un début de saison difficile. Après 12 journées, le club ne comptait qu’une seule victoire (face à Auxerre) et pointait à la 17ème place du classement. As-tu douté à ce moment-là ?
Sincèrement, je n’ai pas douté car hormis le match à Lens (2ème journée), l’équipe a pas mal joué. Notre début de championnat a été un peu poussif, mais c’était la phase d’apprentissage de la ligue 1. Contre Marseille et contre Lyon, nos efforts n’ont pas été récompensés mais on a fait le dos rond. Notre groupe est solidaire et il y a une bonne ambiance dans l’équipe, c’est ce qui nous a permis de ne pas nous décourager.

En championnat, vous restez sur une série de 13 matches sans défaite ! Aux 2/3 du championnat, quel est ton bilan ?
Le bilan est positif. Depuis notre difficile victoire à domicile face à Nice, on a enchaîné les bons résultats et on reste sur une bonne dynamique. Au classement, on a fait une belle remontée. Du coup, on peut jouer sans stress et on essaye de se lâcher davantage sur le terrain.

Tu t’es d’emblée imposé comme une des pièces maîtresse de l’équipe, et ton entente avec tes coéquipiers du milieu de terrain semble excellente.
C’est vrai que je me suis rapidement adapté, il faut dire que j’ai été très bien accueilli par mes coéquipiers, ça a facilité mon intégration dans le groupe. J’ai la chance d’évoluer au milieu de terrain avec deux bons joueurs, je communique beaucoup avec Julien Sablé et David Hellebuyck. « Juju » a un rôle très important, je suis content d’avoir un capitaine de cette trempe dans mon équipe !

Quel schéma de jeu préfères-tu : le 4-4-2 ou le 4-3-3 ?
Je peux m’adapter à ces 2 configurations mais personnellement, je préfère le 4-3-3. C’est plus ou moins le schéma qu’applique actuellement mes entraîneurs, que ce soit Elie Baup à Saint-Etienne et Henri Michel avec la sélection ivoirienne. Du temps de Nouzaret, les Eléphants jouaient en 4-4-2.

Joueur à la fois puissant et élégant, tu confirmes match après match tout le bien que Robert Nouzaret nous avait dit sur toi en début de saison : « Zokora a l’état d’esprit pour s’imposer dans le chaudron, c’est un joueur très performant. Il a beaucoup d’activités et d’indéniables qualités pour jouer numéro 6. Je suis persuadé qu’il va montrer de grandes choses à Saint-Etienne ». Ton ancien sélectionneur avait émis une seule réserve : « la seule chose qui manque à Didier pour l’instant, c’est la discipline tactique. Il veut parfois trop en faire, et il lui arrive de s’emporter, de s’énerver. Mais je pense qu’il va gommer ce défaut avec l’expérience. » Qu’en penses-tu ?
Robert Nouzaret me connaît bien, et je partage son analyse. Parfois, je veux trop en faire, et il m’arrive de m’énerver sur le terrain. C’est dans ma nature, j’ai parfois tendance à manquer de maîtrise. Je suis un gagneur, un compétiteur, et parfois je m’emporte ; ça m’est arrivé en juillet dernier, lors du seul match des éliminatoires de la coupe du monde qu’on ait perdu avec les Eléphants : à 10 minutes de la fin, on menait 1-0 face au Cameroun à Yaoundé, mais on a pris 2 buts coup sur coup. Je me suis énervé et j’ai été expulsé dans les arrêts de jeu après avoir taclé Pius N’Diefi. Je regrette évidemment ce geste, mais bon c’est du passé. Nouzaret a raison, l’expérience va m’aider à progresser dans ce domaine. Se tromper de chemin, c’est apprendre à connaître son chemin.

Tu es en train de devenir l'un des chouchous du public stéphanois, car au-delà de tes évidentes qualités techniques, tu es un battant sur le terrain. Et tu sembles rechercher le soutien du public. Lors du match contre Paris par exemple, tu as levé les bras pour galvaniser les mastres d'Henri Point!
J'adore jouer à Geoffroy Guichard, et j'aime le contact avec les supporters. Lors du match contre le PSG, j'ai demandé au public de s'enflammer encore plus, à un moment où on sentait que les Parisiens étaient prenables. Finalement on a du se contenter du nul...

Tes accélérations font le bonheur des supporters stéphanois, et tu possèdes une bonne frappe de balle. Mais curieusement, tu ne fais jamais trembler les filets. Tu n’as pas marqué de but depuis que tu as rejoint les Verts, et lors de tes 4 saisons en Belgique tu as scoré…une fois ! Etonnant, non ?
Tu as raison, je n’ai marqué qu’un but dans le championnat belge : c’était en septembre 2003, j’avais marqué en toute fin de match le 5ème but de Genk, on avait gagné 5-3 à Lierse. Cette année, je n’ai pas marqué avec les Verts alors que je me suis procuré quelques occasions. Tout le monde s’étonne de voir que je ne marque pas : mes coéquipiers, l’entraîneur, le président, les supporters...tout le monde me le fait remarquer! Mais bon c’est comme ça, je ne me prends pas la tête avec ça... Je ne fais pas de fixation sur ma stérilité devant les cages. Tant mieux si l’équipe gagne sur des buts de Piquionne, Compan ou Feindouno. Je préfère ne pas marquer et gagner des matches plutôt que l’inverse. Maintenant, il est évident que ça me fera plaisir si j’arrive un jour à trouver le chemin des filets.

Revenons un instant sur la demi-finale perdue à Strasbourg en coupe de la ligue. Cette élimination a déçu voire énervé de nombreux supporters stéphanois, certains reprochant aux joueurs un manque d’envie. Quelle analyse fais tu de cette rencontre et que penses-tu des réactions dépitées qu’elle a suscitées ?
Sur le terrain, on a été mauvais, c’est clair. Je ne sais pas pourquoi mais on n’a pas réussi à développer notre jeu, dans les duels on a été battu. Il faut dire que Strasbourg a exercé un bon pressing, il n’y a rien à dire, les Strasbourgeois ont bien joué et méritent amplement leur qualification. Comme tous mes coéquipiers, j’ai été très déçu par notre élimination. Je comprends que les supporters aient été dépités, mais il est exagéré de dire que les joueurs n’avaient pas envie de gagner. On rêvait tous d’aller au Stade de France, on ne peut pas parler de manque de motivation. Il faut reconnaître que sur ce match, Strasbourg était meilleur, voilà tout ! J’étais déçu mais il faut voir la vie du bon côté, du reste l’équipe a bien réagi après ce match.

Après avoir gagné contre Sochaux, Saint-Etienne va affronter de solides équipes lors des 4 prochaines journées: Lyon, Marseille, Bordeaux puis Lille. Au vu de ce calendrier difficile, quelle place vises-tu à la fin du championnat ?
Dans la liste, n’oublie pas notre match en retard contre Ajaccio ! Mon but est de finir dans les 10 premiers. Tout compte fait, ce serait déjà un beau résultat pour un promu. Maintenant, si on a l’opportunité d’aller chatouiller les places européennes, on ne va pas se gêner.

Tes prestations de haut niveau ont été remarquées par les recruteurs de divers clubs européens. Seras-tu encore stéphanois l’an prochain ?
Je tiens à rappeler que j’ai signé un contrat de 4 ans à Saint-Etienne. Des clubs comme la Juventus de Turin et le PSG me suivent avec intérêt, c’est flatteur mais je ne me prends la tête avec ça, je me sens bien avec les Verts.

Les 2 clubs que tu viens de citer t’ont-ils contacté ?
… je suis bien à Saint-Etienne. Je ne souhaite pas parler des clubs qui s’intéressent à moi pour l’instant. Je souhaite donner le meilleur de moi-même avec les Verts, et on fera le point en fin de saison.

Quelques mots pour finir sur le fameux derby. Vous avez déstabilisé l’OL à l’aller, avant de craquer en fin de match. Penses-tu que vous pouvez prendre votre revanche et faire chuter les Lyonnais à Gerland ?
Lyon a une très grosse équipe, mais je suis convaincu qu’on peut créer l’exploit et gagner chez eux. En tout cas, je suis impatient de jouer ce match car c’est vraiment une rencontre particulière, très importante pour les supporters des 2 clubs. J’ai déjà pu m’en rendre compte en octobre dernier, à Geoffroy Guichard. Avant le match, Julien Sablé m’avait expliqué que le derby est un match exceptionnel à vivre, et il n’avait pas tort !

En cas de victoire à Gerland, vas-tu créer devant le parcage stéphanois une nouvelle danse, le « Coupet dégoûté » ?
Ah, si on bat les Lyonnais chez eux, je te promets qu’on va s’en donner à cœur joie devant nos supporters…