Sakho : Lamine de désespoir 
Source :Le quotidien sénégalais

Lundi 19 septembre 2005

  C’est presque un roman noir au pays du football. Et d’un sort qui s’acharne sur la carrière assombrie de Lamine Sakho, 27ans, footballeur qui jongle avec le désespoir. Fruit de la tenace guigne qui entache son parcours fait de déséquilibre et d’une succession de blessures. Pourtant après la France de sa jeunesse, le Sénégal attendait beaucoup du talent d’un Sakho jadis parti pour tout bousculer. Mais la réalité est devenue tout autre.

C’est une page de vie raturée. Un plan de carrière faussé par mille maux. Des rendez-vous tant espérés mais toujours reportés. Et au centre de l’existence au football de Lamine Sakho, un poignant film d’espoirs tant interrompus et de promesses tant remisées.

La faute à qui ? A Lamine peut-être. A la malchance aussi. L’on imagine bien le natif de Louga faisant la moue devant tant d’écueils, face à tant d’infortune et d’avatars qui l’ont brisé en plein envol. Lui, d’habitude si taciturne et peu disert, aura encore un peu plus de mal à sourire à ce quotidien de «chien».

Que lui a proposé jusque-là son «monde», pour qu’il daigne se lâcher plus vite et sourire à sa condition de «privilégié» ? Rien de bien particulier. Sinon des matches au compte-gouttes, un parcours en dents-de-scie, et pour cette saison 2005-2006 au sein de son club de Saint-Etienne, le constat est tout aussi alarmant : seulement 8 minutes glanées en 7 journées du championnat de Ligue 1 française. Y a peu le Chaudron de Geoffroy Guichard attendait un nouvel «Ange» et la «tanière» des Lions un nouveau messie. Depuis, tout le monde s’arrache devant le beau «gâchis».

Pourtant de ses débuts au football professionnel à Nîmes, en passant par ses coups d’éclats à Lens et à Marseille, les observateurs lui prédisaient un fol avenir. Sa savoureuse patte gauche, sa technique de félin, sa percussion ont fait longtemps se pourlécher les babines la «France du foot». Mais depuis le doute et l’incompréhension se sont emparés du «cas Lamine Sakho».

Comme un zombie, Sakho s’avance encore au-devant d’une saison 2005-2006 de Ligue 1 française au scénario prévisible. A l’allure où le coach des «Verts», Elie Baup, distille les places, l’international sénégalais risque de se gaver de bouts de matches. A la pseudo-concurrence en attaque et au milieu de terrain de Saint-Etienne, des indéboulonnables Piquionne, Feindouno, Mazure, Batefimbi Gomis et Frédéric Mendy, est venu s’ajouter l’apport de l’ivoirien Siaka Tiéné. Un offensif de plus pour barrer la route à Sakho et entretenir sa déception née de ses «insultantes» 8 minutes passées l’autre jour à gambader dans un Chaudron très peu hospitalier pour sa patte gauche. Signe patent : pour la 7e journée de Ligue 1 française d’hier, entre St-Etienne et le Psg (3-0), le fils de Mor Sakho (ex-international sénégalais) n’a dû sa figuration sur la feuille de match qu’aux blessures de Mazure et Batefimbi Gomis. Sans plus.

L’ENFER DE LEEDS. Ce timide garçon, au savoir-faire indéniable, espérait beaucoup de sa mise aux «Verts» (il y a signé en janvier 2004 un bail de 3 ans). Surtout au souvenir d’un premier match plus que prometteur avec St-Etienne contre Auxerre (2-2) en janvier 2005 : «On m’a mis en confiance. Mes coéquipiers m’ont beaucoup aidé et encouragé. Cela fait plaisir de voir un tel état d’esprit», s’enthousiasmait alors Sakho, des rêves pleins la tête. Autorisés surtout par un talent ciselé au sein de son club de Nîmes (19 buts en 62 matches en D2 à l’époque), avant que la France d’en «haut» et Lens (29 buts en 64 matches), son premier club parmi l’élite française ne découvrent toutes les qualités du Lougatois. Mais Marseille, où on lui a ouvert grandement les portes de l’écrin du Vélodrome, le garçon s’emmêle les godasses, emporté par le tourbillon d’un quotidien infernal (11 buts en 42 matches). Il est littéralement poussé dehors.

En ce temps où beaucoup de clubs français rêvaient encore de l’associer à leur attaque, Lamine préfère filer à l’anglaise, à Leeds (Angleterre), pour un prêt et s’aérer l’esprit au contact d’un autre football. Histoire de rebondir de plus belle. S’imaginant sans doute conquérir l’Europe de sa belle envie, préférant se détourner de Luis Fernandez, ancien coach du Psg, alors entraîneur de l’Espanyol Barcelone, qui lui faisait les yeux doux.

Mais la traversée de la Manche mal récompensée, une tenace blessure au genou contractée en Perfide Albion et bonjour une interminable baisse de régime qui l’obligera à fuir les désillusions marseillaises pour rejoindre St-Etienne, paradis promis. Avec la bénédiction de son ex-agent et père-protecteur, Pape Diouf (actuel président de l’Om) : «Lamine Sakho a un potentiel intéressant. Il l’a exprimé par le passé. C’est un garçon que je considère de qualité. Mais sa longue blessure a freiné sa progression. Il n’était pas dit qu’il puisse avoir rapidement la possibilité de jouer avec nous (à Marseille) malgré les nombreux efforts qu’il a dûs fournir pour revenir. Il a manifesté une forte envie de jouer, y compris si cela devait passer par un départ.»

Mais à bientôt 28 ans (il les aura le 28 septembre prochain) l’ancien joueur de Marseille n’a plus jamais reproduit sur les prés sa saison d’enfer à Lens, sans doute la meilleure de sa carrière, en 1999-2000 (23 matches 8 buts) et qui lui avait inspiré ce souhait au début de son bail stéphanois : «Je veux redevenir le Sakho de Lens. J’ai beaucoup souffert, beaucoup trimé avant de voir le bout du tunnel…», rageait-il à l’époque. Lamine rêvait de redevenir… Sakho. Il piaffait de redevenir ce joyau dont la brillance a longtemps fait rêver son pays natal.

RETOUR AU PAYS NATAL. Le Sénégal, terre de ses parents, s’illuminait depuis toujours à l’idée d’accueillir ce natif de Louga parti en France à l’âge de 9 ans. Ce qui fut fait à la veille de la Can 2004 à Tunis. Avec comme point d’orgue de ces retrouvailles, le triomphe réservé à Sakho, la liesse populaire en sus, au moment où ce dernier foulait le tarmac de l’aéroport Léopold Senghor de Dakar pour sa première convocation dans la «tanière» (Sénégal-Afrique du Sud : 2-1, 18 janvier 2004 ) : «Je suis content de revenir au Sénégal. De revoir tout le monde, tout le peuple sénégalais. Et surtout de voir ma mère, ma famille qui sont venus me voir, qui m’ont attendu. Je ressens beaucoup de joie, beaucoup d’émotion, je ne m’attendais pas à tout ça», exultait-il, étreint par tant d’égards de la part des supporters de l’Equipe nationale. De tout un peuple.

La «tanière» s’impatiente de l’intégrer, voyant en lui le suppléant d’un Khalilou Fadiga (alors malade) sur une aile gauche orpheline : «Tout le monde pense que je suis un joueur comme Fadiga. Mais nous n’avons pas du tout les mêmes caractères de jeu. Si je peux aider l’équipe en jouant à la place de Fadiga, je ferais mon maximum parce que Fadiga est un joueur exceptionnel et difficile à remplacer. J’essayerai dans ce cas d’apporter ce qu’il a apporté au peuple sénégalais», se persuadait alors l’ancien Lensois. Sur qui l’ex-sélectionneur des Lions, Guy Stephan, misa beaucoup pour épauler El Hadji Diouf et consorts en attaque et porter loin le Sénégal pendant la Can de Tunis 2004. Mettant plus de pression sur les épaules d’un garçon qui devait apporter un supplément d’âme à l’Equipe nationale ? : «Je ne suis pas un joueur qui a la pression. Quelle que soit la situation. Quand j’entre sur un terrain, j’essaie de me vider. En plus quand on a la pression, on fait des bêtises sur le terrain. Moi j’essaie de me libérer, de ne pas me prendre la tête, et de jouer. Après le reste viendra», jurait-il à l’époque. Un match et demi plus tard en terre tunisienne, la «tanière» attend encore un rencart fécond avec le prodige annoncé.

«IL SAIT CE QU’IL DOIT FAIRE.» Témoin de ce temps pas si lointain, Ablaye Sarr coach des Lions, s’autorise ce jugement sur le météore : «Je pense que Lamine est resté un joueur de qualité. A l’époque, c’est vrai qu’il nourrissait beaucoup d’attente sur ses capacités et ses qualités. C’est un garçon tellement talentueux, mais les blessures l’ont souvent freiné dans son élan. Mais c’est un joueur qui a une bonne expérience du haut niveau. Je l’ai vu récemment en France et il me paraissait enthousiaste et joyeux. Il reste sélectionnable, pourvu qu’il joue davantage car c’est un garçon aux qualités sans conteste.» Amara Traoré, coach adjoint des Lions, ne dit pas autre chose : «Lamine, c’est un joueur pétri de talent, très technique. Mais très souvent, il lui a manqué le facteur-chance pour faire une meilleure carrière. Il n’a pas été épargné par les blessures et notamment les ligaments croisés qui sont très contraignants. Mais je l’ai vu récemment en compagnie de Laye Sarr à St-Etienne et il bosse beaucoup pour rester dans le coup. Il fait beaucoup d’effort et lors d’un match Intertoto, on l’a vu faire un bon match. Maintenant à St Etienne, il y a de la concurrence avec de bons attaquants, mais il sait ce qu’il doit faire. En ce qui concerne les Lions, on lui a exposé notre projet et il sait que s’il joue régulièrement, il sera sélectionnable comme tout le monde. Il a dit qu’il fera le nécessaire. On lui souhaite de revenir.»

En mémoire bourdonnent les mots gonflés de sagesse de sa maman, au moment de retrouver, un soir de janvier 2004, son fils à quelques jours de sa première sélection : «J’espère seulement qu’il sera à la hauteur de toute cette attente.» L’on n’est pas sûr que Lamine Sakho ait vraiment été à la hauteur de tant d’engouement. Ni d’ailleurs qu’il ait écouté réellement sa maman. Dommage. Et quel beau gâchis !

Elimane KANE (Le quotidien sénégalais)