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Affaire
Piquionne : L'absurdité du mercato. |
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Mardi 23 janvier 2007 |
Par Pierre Martini - lundi 22 janvier 2007 des Cahiers du football
"L'affaire Piquionne" éclaire les mœurs du football actuel et met en
scène un joli casting de pieds nickelés et d'argousins. Elle démontre surtout
toute l'absurdité du mercato d'hiver.
En dépit des efforts de la presse spécialisée, à l'orée du mercato, pour
faire croire que celui-ci va être extraordinairement animé – exploitant
ainsi un de ses principaux filons (le très virtuel marché des transferts) –
il n'y a plus que les naïfs et les rêveurs pour penser qu'en dehors de
quelques ajustements cosmétiques et de deux ou trois mouvements notables, la période
va être agitée et produire des bouleversement dans les effectifs. La période
est surtout propice aux habituels fantasmes des supporters… C'est d'ailleurs
dans la catégorie "fantasmagories" qu'il faut classer deux des
"infos" les plus abondamment traitées en ces mois de janvier et février:
les annonces de l'arrivée de Laurent Blanc comme entraîneur de Nantes et de
Yannick Noah comme griot du Paris SG.
Foire aux bestiaux
On note également que les deux arrivées les plus remarquables sont pour le
moment celles de joueurs libres: Barthez et Gallardo. Telle devrait d'ailleurs
être la vocation de ce "marché d'hiver": permettre à des joueurs
dont le contrat est échu, au chômage ou écartés par leurs entraîneurs de
retrouver un club. En dehors de ces critères assez stricts, et dans le cadre de
la limitation des mouvements à un par saison et par joueur, le mercato de
janvier ne devrait pas avoir lieu d'être. C'était d'ailleurs ainsi que l'avait
pensé la FIFA quand elle avait mené une longue réflexion sur la réforme du
système des transferts... avant de céder à la libéralisation, renonçant à
favoriser un regain de stabilité.
Il s'agirait pourtant de placer les clubs et les joueurs devant la responsabilité
de leurs propres choix: s'ils se sont trompés, qu'il en prennent leur parti et
attendent l'été pour rectifier le tir – cette fois en tâchant de mieux y réfléchir.
Cela ne ferait que les inciter à peser leurs décisions et les risques afférents,
avec une réduction probable du nombre de mouvements.
Alors, faute d'une actualité réellement trépidante, que reste-t-il au mercato?
On a la réponse avec "l'affaire Piquionne": des polémiques, des manœuvres
et des psychodrames... Le cas est exemplaire. Avant la trêve, on a là un
joueur qui réussit une excellente saison, confirmant le redressement de sa
carrière depuis son arrivée dans le Forez (voir Piquionne and only), dont le
contrat court jusqu'en 2009 et qui évolue dans une équipe en pleine bourre qui
flirte avec le podium. Comparez avec la situation actuelle.
Poker menteur
Le feuilleton n'est flatteur pour aucun des parties concernées. D'abord pour l'OL
et sa politique, qui semble viser autant la déstabilisation de ses adversaires
que le renforcement de sa propre équipe. De Chamakh à Pauleta, les intentions
des dirigeants ont souvent été troubles – sauf lorsque Jean-Michel Aulas, en
(mauvais) joueur de poker, excessivement vantard, avoua avoir réussi son coup
en affaiblissant le PSG quand celui-ci avait dû quasiment doubler les émoluments
du buteur portugais. En l'espèce, on peine même à débrouiller les intentions
réelles des différents décideurs olympiens: entre un Gérard Houllier qui
excelle dans le brouillage de piste mais fait de Piquionne sa priorité, un
Bernard Lacombe qui déclare ne pas être intéressé par le joueur et un
Jean-Michel Aulas qui fait une offre manifestement insuffisante, le club a-t-il
vraiment la volonté d'attirer à Tola-Vologe l'attaquant stéphanois?
La présidence bicéphale de l'AS Saint-Étienne a, pour sa part, fait une
nouvelle fois la preuve de ses atermoiements et de son étonnante capacité à
laisser dégénérer des situations pourtant maîtrisables. Une communication
ambiguë – voire une absence de communication auprès du principal intéressé
– a précédé un roulement de mécaniques assez pathétique à l'attention du
rival lyonnais, et à des propos qui ont achevé de braquer leur salarié. Voilà
notre duo Caïazzo-Romeyer joliment empêtré, contraint de grandiloquer en
invoquant le peuple vert et en prenant toutes les apparences de la fermeté,
masquant mal sa tentation de réaliser une bonne affaire.
Les états d'âme du joueur
Quant au joueur lui-même... Tout le monde lui accorde d'être légitimement
tenté par une offre lyonnaise qui le ferait – du moins s'il trouve sa place
au sein de ce riche effectif – changer de dimension sportive à vingt-huit ans
(en doublant ses 80.000 euros mensuels). Mais les incohérences de son propre
discours transparaissent, tout comme son opportunisme, s'agissant de trouver le
prétexte pour aller au clash définitif et officialiser le rituel "bras de
fer" en se plaignant d'être "traité comme un esclave", ou en évoquant
un dégoût tel qu'il envisage d'arrêter le football.
On est encore une fois frappé de l'ignorance, réelle ou affectée, des
footballeurs quant aux aspects symboliques ou sentimentaux qu'accordent encore
les supporters à l'appartenance à un club particulier. En l'occurrence,
l'attaquant fait mine d'ignorer complètement le contexte particulier qui régit
les relations entre Saint-Étienne et Lyon (1)... À moins qu'il y ait une part
de calcul dans cette démarche, en ne prenant pas la moindre précaution pour évoquer
un départ vers le rival régional, Piquionne a probablement achevé de se
griller à Saint-Étienne en franchissant un point de non-retour. Il entend
peut-être forcer ainsi la main de ses dirigeants. Mais pour peu que les
Lyonnais trouvent leur bonheur ailleurs, ils auront réussi l'exploit de délester
l'ASSE d'un de ses meilleurs atouts, sans même avoir à le débaucher. Et ceci,
aussi bien si l'ex-Rennais est vendu à un autre club que s'il reste à Saint-Étienne.
Mais soyons sûrs qu'en bons cyniques, les deux partis sauront interrompre la
comédie pour s'entendre, finalement.
Clubs et joueurs ont-ils encore des intérêts
communs?
Reprenons. Sans le mercato, toute cette affaire n'aurait pas eu lieu d'être. Ni
le joueur, ni les dirigeants concernés n'auraient eu à envisager le départ
d'un joueur en plein milieu d'une saison. Parce que cette hypothèse est toute
simplement absurde, tout comme le règlement qui la rend possible... À l'arrivée,
on a un professionnel qui compromet sa saison et celle de son club, entretient
son image de "joueur à problèmes" et distend un peu plus le lien
entre les footballeurs et les supporters en entretenant le stéréotype du
mercenaire.
Piquionne affirmait récemment que si l'ASSE l'avait aidé à progresser (2),
celle-ci lui était également redevable. C'est très exactement cette logique
de progression commune, de don réciproque et d'intérêts partagés que désintègrent
les pratiques de ce genre. À qui profite la dérive? Aux agents et autres
intermédiaires, aux clubs débaucheurs – forcément les plus puissants sur le
plan financier –, aux joueurs s'ils surmontent les turbulences sans se
contenter de faire la culbute sur leur fiche de paie, et accessoirement aux médias
spécialisés qui vont faire leur beurre de cette actualité extra-sportive. On
sait justement que la compétition est devenue presque autant économique que
sportive. Raison de plus pour la réguler.