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Les souvenirs de Dominique Rocheteau 
Source :  Site Poteaux Carrés

Dimanche 1er  janvier 2017

Football total, napalm et poteaux carrés

C'est le sous-titre d'un ouvrage richement illustré consacré aux années 70 paru le mois dernier aux éditions So Foot et préfacé par Dominique Rocheteau.

"J'ai grandi et joué au foot dans mon petit village de Charente-Maritime. Mon père avait été un bon footballeur et il m'avait emmené à Bordeaux pour voir le dernier match de son idole, Raymond Kopa. Bordeaux-Reims, la seule vraie rencontre que j'aie vue "en vrai". Repéré par Pierre Garonnaire, le célèbre recruteur de l'ASSE, j'avais le choix entre Nantes et Saint-Etienne. Et comme les Verts, c'était le top à l'époque… Vers 1970-1971, à 16 ans, je suis arrivé à Saint-Etienne, où j'ai intégré le centre de formation. Je continuais d'aller au lycée parce que mes parents voulaient que je continue mes études. Je m'entraînais avec la réserve CFA jusqu'à mon premier match en pro à 17 ans, contre Nancy, en 1971.

 Là on est en pleine période Ajax d'Amsterdam. Je les avais découverts en 1969 contre Benfica en match d'appui de demi-finale de Coupe d'Europe à Colombes. C'était l'un des rares matches diffusés à la télé. J'ai vu l'Ajax et Cruyff avec mes grands yeux de gamin. J'étais émerveillé. J'ai grandi avec eux, à travers leurs grands matches européens. Je l'identifiais avec eux : moi, j'étais rock, j'avais les cheveux longs, et les gars de l'Ajax, c'était tout ça. Ils avaient surtout cette liberté qu'ils exprimaient sur le terrain. Ensuite, j'ai suivi les Pays-Bas à la Coupe du monde 1974, la plus grande équipe que j'aie vue avec le Brésil 1970.

 A partir de 1974, Saint-Etienne a commencé à briller en Coupe d'Europe. On a déclenché une véritable ferveur dans toute la France. On renversait des situations incroyables à Geoffroy-Guichard. Dans ces grandes soirées européennes c'est e Tout-Paris du show-biz qui descendait à Saint-Etienne ! Entre joueurs, on ne parlait pas trop d'argent. Je n'avais pas d'agent et je discutais tout seul de mon salaire avec le président, Roger Rocher. En fait, je ne discutais même pas, je prenais ce qu'on me donnait. Après la finale de Glasgow, j'ai entendu dire que le Real s'était intéressé à moi, je n'ai jamais vraiment su… Cette finale a été frustrante. J'étais blessé et je n'ai joué que huit minutes.

 Dans les journaux écossais du lendemain, Rod Stewart avait lancé : "Mais c'était qui ce lad qui est entré en fin de match ?" C'était un compliment, j'étais flatté. J'adorais Rod Stewart. Les années 70, c'étaient vraiment les grandes années du rock. J'allais souvent en Californie en vacances, en fin de saison, pour voir des grands concerts. Jefferson Airplane, ZZ Top, Neil Young… A Saint-Etienne et à Lyon, j'ai vu Genesis, Santana, Led Zep, les Who. J'adorais aussi aller au cinéma, au Méliès à Sainté voir du cinéma italien : Comencini, Fellini, Ettore Scola, Pasolini… Mes lectures, c'était beaucoup Boris Vian. J'ai tout lu de lui. J'aimais beaucoup Henry Miller aussi. En Californie, j'étais allé à Big Sur rien que pour lui !

 Les Verts ont été à l'origine du renouveau du football français, on formait l'ossature de l'équipe de France vers 1976-1978. Et puis il y avait Michel Platini, le phénomène… Son premier match au Parc, contre les Tchèques en 1976, son but sur coup franc. Ensuite, on s'est côtoyés avec les Bleus pendant des années. Numéro 10, leader charismatique, talentueux mais avec un côté gamin rigoleur. Tous les grands joueurs ont gardé une âme d'enfant, je pense. Sa vision du jeu était hallucinante, c'était fabuleux pour un attaquant comme moi d'être lancé dans le bon espace, le ballon arrivait toujours au bon moment.  Le renouveau du foot français, c'était aussi Michel Hidalgo. En plus de ses grandes qualités humaines, il nous laissait une grande liberté pour exprimer notre créativité, nos élans offensifs. Exactement ce que j'avais aimé avec l'Ajax ! Avec les Verts et les Bleus, on a pris conscience que nous, footballeurs français, on pouvait enfin rivaliser avec les meilleurs.

 Il y a aussi eu cette Coupe du Monde 1978 en Argentine et ce dilemme : faut-il y aller ou pas ? On était qualifiés après des années de disette. Ma position n'était pas de boycotter mais d'aller disputer cette grande compète dont rêvent tous les footballeurs, moi le premier. Personne n'était dupe, on savait tous que ce Mundial profiterait à la junte. On s'est fait éliminer au premier tour et je suis resté encore un peu, pour rencontrer des étudiants. C'était ma façon de témoigner. Comme on était dans un état policier, il y avait de la peur, mais ils avaient apprécié de pouvoir échanger avec nous, des footballeurs étrangers un peu concernés. Les Argentins souffraient mais c'est aussi un grand peuple de football qui a communié avec son équipe durant le mondial. J'ai joué au Monumental contre l'Argentine et ça reste un de mes souvenirs les plus forts avec cette ambiance de feu, 80 000 supporters, les papelitos…"